La nuit tombait sur Koru. L'astre lunaire nimbait le terre-plein de sa clarté d'argent, en concurrence avec les satellites écarlates, qui jetaient leur lumière rouge sur le monde. La scène semblait un ballet angélique teinté de sang, comme un gala entre Ciel et Enfer. Le chaos qui régnait sur le territoire depuis le changement temporaire de direction, ainsi éclairé, donnait l'impression d'une gigantesque salle des fêtes, où le Dragon et Saint-Georges trinquaient dans un jeu dangereux d'hostilité amicale. Tout du moins, c'est ce que Noctium, enfermé dans les méandres de son handicap, pensait. Sa seule distraction, maintenant qu'on l'avait officiellement jugé comme fou et privé de sa liberté, se trouvait être son esprit, si riche, si vif, si horrible. Il dansait une lente valse, au rythme d'une invisible mélodie, un sourire enfantin aux lèvres, mimant le violon d'un geste gracieux.

Pour lui, la pièce sombre et froide, aux quatre murs immaculés, n'existait pas. Peu lui chalait qu'on le surveillât, après tout, le monde entier l'avait estampillé malade mental. Il pouvait se permettre de telles manières jugées comme inconvenantes chez les braves gens bien éduquées, à présent. Il avait décidé de fuir cette société qu'il trouvait, et ce depuis sa prime enfance, indigne d'exister. Il était très bien dans son délirium, bien que celui-ci lui eût fait tant de mal par le passé et récidivait régulièrement. Au fur et à mesure qu'il poursuivait son concerto muet, sa vision se distordait. Les murs blancs et matelassés se mirent à saigner, à l'instar des lumières célestes du dehors. Le sol se noya sous le fluide vital. Noctium sentit un doux et chaud ruisseau lui caresser le cou.

Un contact presque érotique, comme les doigts graciles d'une amante pétrie d'amour. Il posa une main, celle qui tenait l'archer imaginaire, sur le cours de liquide. Une douleur transperça soudainement son corps. Un rideau de bruit blanc tomba devant ses yeux. Une alarme résonna dans ses oreilles, en trémolo. Sans le savoir, il tomba à la renverse, dos au sol. Le sang éclaboussa le Général, qui dut trouver cela très drôle car il partit dans un éclat de rire suraigu. Le son rebondit sur les murs, avant de piquer vers son crâne tel un cruel oiseau de proie. Il sentit comme une perceuse lui vriller les tympans alors qu'il s'enfonçait les doigts dans les oreilles. Le ruisseau devint torrent. La torture auditive redevint une joyeuse musique de vaudeville tandis qu'il se relevait, l'équilibre précaire.

Il tourna sur lui même et s'esclaffa à nouveau. Cependant, la douleur revint le malmener alors qu'il faisait vibrer ses cordes vocales. Les larmes virent se mêler à la joie, dans un horrible arrangement de sanglots et de rire. Il croisa les bras et commença à se balancer d'avant en arrière. Ses ongles griffus s'enfonçaient entre ses côtes saillantes, lui envoyant des éclairs de souffrance. Le sang souilla sa chemise, répétant à nouveau ce motif d'immaculé écarlate. Soudain, il se tut. La réalité le frappa de plein fouet telle une massue. Le souffle coupé, il fut envoyé contre le mur, comme si on venait de lui asséner un coup de poing dans le torax. Il inspira et regarda autour de lui, les lames aux yeux.

Une boîte. Une cage. Une pièce étroite. Les cloisons semblaient se rapprocher au fur et à mesure qu'il les regardait. Ils l'avaient enfermé... et maintenant, ils voulaient le broyer vivant ! Il serra sa gorge, comme s'il avait quelque chose de coincé à l'intérieur. Il ne les laisserait pas les tuer ! Ils étaient jaloux ! Il n'arrivait plus à inhaler correctement. Il se sentait oppressé. Paniqué, en hyperventilation, il se jeta violemment contre la porte métallique, faisant fi de la douleur qui transperça son épaule, probablement déboîtée par le choc. Il recommença, encore et encore, tandis que le monde rétrécissait. Des rires résonnèrent. Ils se moquaient de lui ! Ils le voyaient se débattre, misérable insecte tenant à sa vie ! Et ça leur faisait plaisir !

Il cessa de lutter. Ne pas leur apporter quelque satisfaction ! Mais le son des moqueries était insupportable. Il se frappa les tempes avec ses poings, espérant faire cesser ce concert infernal. Tout ce qu'il gagna fut des ecchymoses d'une taille non négligeable.